Présentée par Érika Maltais, étudiante au BASA
Voici le portrait de François Giard, l’un des professeurs du BASA ayant le plus d’ancienneté.
Passionné par plusieurs choses il aime partager ses connaissances avec les étudiants.
Erika: Je vais te poser quelques questions – mais je t’avertis – à la fin je vais te demander de me dire un truc étonnant sur toi.
François: Étonnant sur moi? (rires) Bon, OK je vais penser à ça pendant que je réponds aux questions…
Erika: Est-ce que ça fait longtemps que tu enseignes au BASA?
François: Oui, en fait moi, j’ai démarré le programme! J’ai commencé à donner des charges de cours vers 1990. Plus tard vers 2004 ou 2005, j’ai décidé de faire un doctorat alors que j’avais déjà une bonne expérience en production. J’ai travaillé avec Daniel Potvin, avec Jean-Jacques, ce sont tous d’anciens collègues que j’ai recontactés une fois que j’ai commencé comme prof. Il y avait très peu de gens avec ce profil-là, donc dès que j’ai fait mon doctorat, j’ai reçu des appels. C’est l’Université Laval qui a gagné la palme! Il y avait déjà une ébauche de projet quand je suis arrivé et on m’a demandé de faire démarrer et faire avancer le projet du BASA.
Erika: Ah oui! Je me souviens que Daniel Potvin m’avait déjà dit que c’était toi qui l’avais incité à venir enseigner ici, quand tu l’avais croisé dans des locaux de l’université.
François: En fait, quand j’ai accepté le poste de professeur, je pensais que j’allais enseigner en arts visuels donc je ne m’attendais donc pas vraiment à ça. Je me suis demandé qui pouvait m’aider à construire un tel programme. Ça me prenait quelqu’un qui était du milieu professionnel et qui comprenait bien aussi le monde universitaire. On voulait un programme qui répondait à l’industrie et qui se différenciait de ce qui se faisait ailleurs. Par hasard, je me suis rendu compte que Daniel n’était pas trop loin. Je l’ai appelé tout de suite et je n’ai pas trop eu de la misère à le convaincre.
Erika: Donc toi dans le fond, tu as plus une formation en arts visuels?
François: Écoute, moi ma formation…. J’ai étudié l’électrotechnique.
Erika: Et ça consiste en quoi?
François: C’est avant l’informatique d’aujourd’hui, c’est la construction de systèmes informatiques, de circuits électroniques, toutes ces choses-là. C’était vraiment une formation technique. Je n’ai jamais vraiment travaillé là-dedans. Dès que j’ai fini le Cégep, je suis parti de chez mes parents et je me suis installé au centre-ville de Montréal, et là j’ai étudié ce que je voulais vraiment. J’ai étudié l’histoire de l’art à l’Université de Montréal.
Erika: Donc ça a été l’histoire de l’art en premier et puis l’électrotechnique?
François: L’électrotechnique, c’était juste au Cégep. J’ai toujours été intéressé par la technique, la technologie et tout ce qui est compliqué, mais c’est la question de l’image et l’histoire de l’art qui a pris le dessus.
Erika: Et ensuite?
François: Après l’histoire de l’art, j’ai eu une production comme artiste. J’ai fait de la peinture, de l’art actuel. Je faisais de la peinture avec des images numériques qui étaient derrière les peintures avec des écrans cathodiques. Je passais mon temps dans des constructions de murs de gyproc, c’était compliqué. Après ça, j’ai eu des bourses du Conseil des Arts, des articles dans les journaux. À un moment donné, je me suis vraiment intéressé à la question de l’image, au-delà de la peinture, au-delà de l’art actuel. J’étais plus intéressé par les questions métaphysiques de l’image. À partir de là, j’ai décidé de faire une maîtrise. Et puis avec ma maîtrise, j’ai rencontré du monde super le fun, j’ai travaillé sur des projets de recherches sur la question des artistes qui s’intéressent aux technologies de l’image. C’est un peu comme ça que mon intérêt est devenu de plus en plus pointu. En sortant de ma maîtrise, je me demandais comment j’allais faire pour rattraper le train au niveau des nouvelles technologies.
Erika: Comment as-tu fait finalement?
François: Je suis allé travailler chez Softimage. J’avais commencé avec les premiers logiciels de 3D. Au début, c’était assez primitif. On faisait des sphères, on mettait des grid dessus et on les faisait tourner. Tout le monde capotait. À un moment donné, on mettait des lumières. C’était avant. C’est avec ce travail chez Softimage que j’ai rencontré Daniel. Notre logiciel était utilisé pour faire les images de Jurassic Park. Il y avait des gens qui arrivaient de partout sur la planète pour travailler sur la rue Saint-Laurent à Montréal. J’ai travaillé sur les guides d’utilisateur, sur les tutoriels de 3D de Softimage. J’ai travaillé à certifier les écoles et les professeurs. J’ai fait le tour du monde pour faire des conférences, offrir des séminaires. J’ai gagné mon expertise auprès des développeurs qui ont construit le logiciel. C’était pas mal le fun. Après ça, j’ai travaillé dans les studios de productions. Je suis allé chez Ubisoft et dans d’autres studios d’effets visuels à Montréal. Ensuite, j’ai travaillé à mon compte. J’ai fait un film immersif, entre autres, pour le musée des Bâtisseurs à Alma. J’ai tout fait ça tout seul dans mon poulailler à Saint-Denis-sur-Richelieu.
Erika: C’est toi qui as fait le film immersif des Bâtisseurs? C’est très populaire comme attraction au Lac-Saint-Jean!
François: C’était super… les films immersifs, la réaction des gens! C’était la première fois qu’il y avait des films immersifs comme ça. C’est ce qui m’a poussé à faire un doctorat.
Erika: Tu nous avais déjà expliqué dans ton cours que c’était plus les technologies et l’image qui t’intéressaient et moins le film d’animation en soi.
François: En fait, le cerveau humain fonctionne essentiellement avec les images. Les images sont à la base de ce que nous sommes. Moi, c’est ça qui m’intéresse. Alors oui, on raconte des histoires, c’est intéressant. Mais ce qui m’intéresse vraiment c’est pourquoi on raconte des histoires? C’est ça que je trouve intéressant. Je pense qu’à l’ère des médias de masse et des fake news la question de l’image est plus pertinente que jamais.
Erika: C’est vrai que c’est intéressant. Il y a une rumeur qui circule à ton sujet. On a entendu dire que tu avais fait un doctorat sur les mouches.
François: (rires) C’est une bonne farce ça! Je sais d’où vient cette rumeur-là. Je parle d’une mouche dans ma thèse de doctorat. Je parle de la différence entre ce qu’une mouche voit quand elle regarde une pomme, et ce que l’humain voit lui quand il regarde une pomme. La mouche voit un rond rouge, elle met sa langue dessus et découvre que c’est vraiment une pomme. Nous, quand on voit une pomme, on voit Newton, la pomme qui lui tombe sur la tête, la gravité, les tartes aux pommes. On voit beaucoup plus qu’un rond rouge. L’image de la pomme prend le dessus sur l’objet. Donc, oui les mouches, c’est important.
Erika: Les dessins que je vois en arrière de toi là, ce sont tes créations?
François: Oui. Cette question-là de l’image, on se rend compte que c’est une construction de l’esprit. Dans l’histoire, il y a eu une première image et cette image c’est l’image de soi. Alors à partir de cette conclusion, je travaille sur les portraits depuis quelques années pour absorber cette notion-là du visage avec l’angle de la pratique plutôt qu’uniquement par l’angle théorique. Je me donne une heure par jour pour faire un portrait. C’est la première chose que je fais en me levant.
Erika: As-tu trouvé un truc vraiment surprenant à me dire? Ce n’est pas obligé d’être gros là, tant que personne ne s’y attend.
François: Ça n’a peut-être pas rapport là, mais j’ai développé un système avec le CRIM (Centre informatique de Montréal) pour lequel j’ai déposé un brevet. C’est une plateforme vidéo qui fait des entrevues structurées interactivement. Le projet a été financé en 2010 à peu près. En ce moment, je n’ai plus le financement pour commercialiser l’application, mais en gros, c’est un système où on construit une entrevue structurée, puis après on peut la publier. N’importe qui peut répondre par la suite. Après ça, il y a une analyse sémantique des réponses qui permet de découvrir tous les mots-clés dans les réponses. Les entrevues d’embauches sont juste une petite partie de l’utilité du système. Tu pourrais faire des recherches sur les réponses de tous les professeurs d’université en même temps, questionner un personnage célèbre, laisser tes mémoires aux générations futures par exemple.
Erika: En tout cas, c’est vrai que c’est surprenant. C’est cool!
François: Sinon, je restaure aussi de vieilles maisons. J’achète une maison abandonnée qui a au-dessus de 150 ans, et je vais la restaurer pendant une dizaine d’années. Moi et ma femme, on fait ça. En ce moment, on travaille sur une maison abandonnée dans les montagnes de Baie-Saint-Paul. C’est pour l’amour du patrimoine.
Erika: Ce sont de gros projets, ça! Tu as de grosses journées toi: tu te lèves le matin, tu fais des portraits, tu t’en vas restaurer des maisons et au travers de tout ça, tu donnes des cours.
François: (rires) Le truc c’est de se coucher tôt le soir et de se lever tôt le matin!